BJN#166 – Vous prendrez bien un dernier ver ?

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BJN#166 – Vous prendrez bien un dernier ver ?

Cet article du BJN est rédigé en rapport avec les références bibliographiques suivantes :

Le Meur Y, Badet L, Essig M, Thierry A, Büchler M, Drouin S, Deruelle C, Morelon E, Pesteil F, Delpech PO, Boutin JM, Renard F, Barrou B. First-in-human use of a marine oxygen carrier (M101) for organ preservation: A safety and proof-of-principle study. Am J Transplant. 2020 Jun;20(6):1729-1738. doi: 10.1111/ajt.15798. Epub 2020 Feb 21. PMID: 32012441.

Lien vers l’article : First-in-human use of a marine oxygen carrier (M101) for organ preservation: a safety and proof-of-principle study


Merci à Amaury Dujardin, Interne en Néphrologie à Nantes, pour cette synthèse bibliographique. Vous aussi, n’hésitez pas à nous envoyer vos lectures !

Introduction

Cet article paru dans l’AJT (étude OXYOP) nous rapporte les résultats de la première utilisation chez l’homme et en contexte de transplantation du M101, un transporteur d’oxygène marin. Cette molécule est en fait une hémoglobine qui présente pour caractéristiques d’être extra-cellulaire, non immunogène chez l’homme, d’avoir un fort pouvoir de fixation de l’oxygène (jusqu’à 156 molécules d’oxygène contre 4 pour l’hémoglobine humaine), qu’elle libère par simple gradient contrairement à l’hémoglobine humaine qui répond à une courbe de dissociation. Cette hémoglobine a été identifiée chez le ver marin arénicole (mais si, vous savez, ces petits pâtés de sable qu’on voit sur nos plages !).

L’objectif est de limiter les lésions d’ischémie-reperfusion au sein des greffons rénaux lors du transport, en injectant la molécule au sein du circuit des machines de perfusion. Il s’agit ici d’une étude de sûreté de son utilisation chez l’homme.

Méthodes

Les fameux vers marins sont élevés dans des fermes aquatiques. Les vers sont ensuite congelés pour en extraire l’hémoglobine (qui est considérée comme un dispositif médical). Le produit est ensuite injecté dans le liquide de conservation des greffons (1 g/L).

6 centres français ont participé à cette étude. L’étude concernait des donneurs adultes décédés en mort encéphalique. Les greffons étaient conservés au froid ou sur machine selon les recommandations. Les receveurs étaient âgés de plus de 18 ans, obligatoirement dialysés. Le rein controlatéral était utilisé comme groupe contrôle.

L’évaluation portait principalement sur la sûreté d’utilisation et la tolérance (recueil des effets indésirables dans la première année de transplantation), avec un regard sur la survie patient et greffon, la fonction rénale, la survenue de rejet aigu, la reprise retardée de fonction du greffon.

Résultats

58 greffons ont été transplanté après avoir reçu une injection de M101. 491 évènements indésirables étaient rapportés dans les 3 premiers mois, dont 41 considérés sévères. Le comité de surveillance a jugé que ces effets étaient comparables en fréquence et en nature aux transplantations habituelles, et à celles du groupe contrôle. 2 effets indésirables sévères étaient possiblement imputables au M101 : un cas de rejet aigu humoral sans DSA à J1, et un cas de thrombose veineuse du greffon (mais avec de nombreux facteurs confondants). La fréquence des complications infectieuses était également similaire à celle habituelle rapportée.

Les biopsies pré-implantatoires montraient dans 60% des cas des lésions de nécrose tubulaire, aucune ne présentait de signes de thrombose glomérulaire ou d’altération de la micro-circulation. A 3 mois, 70% des biopsies réalisées étaient indemnes de fibrose.

Concernant l’efficacité, les deux groupes différaient sur la durée d’ischémie froide (11h53 vs 18h02, p<0.0001). Le retard de reprise de fonction des greffons n’était pas différent dans les deux groupes, mais les patients du groupe M101 nécessitaient moins de dialyse (p=0.008) et obtenaient plus rapidement une créatinine <250 µmol/L (p=0.02). L’analyse multivariée suggère que l’injection de M101 et la durée d’ischémie froide sont deux facteurs indépendants de DGF.

 

Conclusion

Cette étude montre pour la première fois en transplantation la sûreté d’utilisation du M101, transport d’oxygène d’origine marine, avec des résultats prometteurs sur l’efficacité.

 

Points forts

  • Originalité de l’étude et du M101
  • Cette molécule présente une excellente tolérance : non immunogène, non allergisante
  • L’ischémie-reperfusion reste un enjeu important de la transplantation, résultats encourageants avec cette molécule chez l’animal et perspectives intéressantes chez l’homme, l’étude d’efficacité est en cours de mise en place

Critiques

  • Rein « injecté » toujours transplanté localement, contrairement au rein contrôle avec donc un temps d’ischémie froide plus court dans le bras testé.
  • Pas d’informations sur les donneurs à critères élargis, et les autres types de donneur (M3, donneur vivant) ont été exclus
  • Quel sera le coût de cette molécule ?

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